Chapeau en tête

Agencée par les soins de la modiste elle-même, la devanture souriante du n° 1 bis, place du Tunnel, dévoile, par la magie de quelques créations chapelières, la fascination qu’éprouve Ariane Delabays pour la matière, et les trésors d’imagination et de savoir-faire qu’elle déploie pour lui donner vie. Son décor original, revisité au fil des saisons, annonce l’esprit qui règne en cet écrin discret et raffiné.

L’entête de la boutique-atelier s’affiche fièrement sur la vitrine : un accent circonflexe, le premier chapeau de l’écolier. Cédant à l’appel de l’irrésistible enseigne, le client décidé franchira le seuil un chapeau en tête, assorti parfois d’un croquis, et le simple curieux, c’est certain, quittera les lieux un chapeau sur la tête !

Témoin d’une époque révolue où, souverain et capricieux, le couvre-chef dictait la mode, un ample meuble de mercerie accueille le visiteur. L’antique comptoir de vente, recelant mandrins à gaufrer et autres outils anciens, présente un heureux contraste avec le mobilier contemporain qui lui fait face, moulé en polycarbonate. Son style Louis XVI revisité contient quelques mots-clés ici appliqués : tradition, transparence, légèreté et élégance, mais aussi innovation, divertissement, humour et fantaisie. Lui fait écho un porte-chapeaux, travail artisanal mariant plexiglas et bois, s’offrant sur une entière paroi : Mesdames et Messieurs, faites votre choix !

L’espace d’exposition-vente est relié à l’atelier par un escalier en colimaçon. Arrivé à l’étage, on croit travailler du chapeau – l’expression évoque un apprêt toxique qui rendait fou le feutrier d’autrefois – en découvrant l’envers du décor. On réalise alors en quoi consiste pratiquement l’art de la modiste, dont le nom perpétue celui de l’ancienne marchande de modes, qui alimentait en vêtements et accessoires une gent féminine toujours désireuse de séduire. Les meubles et étagères regorgent de moules, plumes, étoffes, matériaux et fournitures en tous genres rappelant des métiers oubliés tel le formier ou le plumassier : une gamme infinie de chapeaux prend naissance jour après jour entre les doigts de notre artisan-sculpteur, passionnée depuis l’enfance par les fibres textiles et formée à la Fashion School of Design à Boston.

Cette créatrice aime aussi concevoir des turbans. Elle y apporte une attention particulière – et son activité passée de technicienne en radiologie n’y est pas étrangère – lorsque cet ornement, finement personnalisé, se révèle indispensable au mieux-être de clientes astreintes à de difficiles traitements médicaux.

Modiste trop modeste, elle a également relevé le défi du chapeau de scène en assurant la confection de coiffes destinées à des spectacles montés par l’exigeant Maurice Béjart. Mission singulière et délicate, puisque ces réalisations, aux formes et volumes parfois extravagants, doivent être tout à la fois résistantes et légères, et n’entraver d’aucune manière les mouvements et arabesques des futures étoiles…

Les personnes qui ne sortent pas « en cheveux » et abordent la vie la tête couverte savent que le port d’un couvre-chef lui confère des dimensions insoupçonnées ! Du sobre galure porté quotidiennement à la coiffe sophistiquée exhibée lors d’une troublante soirée, Ariane Delabays, brune magicienne aux yeux rieurs, met son savoir-faire au service du savoir-plaire : elle a le don incontesté de rendre votre minois inoubliable ou de sublimer votre port de tête.

Chapeau !
Ariane Maradan